O
comme Olga.
Maman
devrait se souvenir me l'avoir postée avant que je ne sache
qui elle était, avant que je ne la connaisse danseuse de ballet russe et l’une
des plus jeunes de la troupe de Diaghilev,
avant qu'elle ne soit l'amante du peintre, avant qu'elle ne soit ingresque et concrètement
"réservée", avant qu'elle n'ait pas d'ossature, pas de clavicule,
avant qu'il ne lui reste un peu de
cubisme par-ci par-l'éventail, avant sa planéité moderniste, avant qu'elle ne
soit de 1917, avant Manet Manet Manet
et pourtant bien après. Ma chère maman, tu devrais te souvenir m'avoir écrit à
son dos que tu l’avais choisie parce que la brune aux yeux marron avait le port
de bras arrondi comme l'apprentie rat que je fus (et pour le petit nez
de chat que j'eus, un jour…).
Olga
comme dans un fauteuil.
Pablo Picasso, portrait d'Olga dans un fauteuil, 1917.
Huile sur toile, 130x88cm, Musée Picasso, Paris
Ils
ne sont pas si nombreux les tableaux que j'ai aimé jusqu’à la fascination avant
la méthode, avant l'école du Louvre, avant le Pierre
Daix, avant de travailler dans des musées. Ça m’est précieux, à moi et rien
qu’à moi. En la regardant, je ne suis nostalgique de rien pas même de mes quinze
ans révolus, parce qu'à la regarder belle, Olga, et bien, n'aura jamais fini.
J’aime l’idée. Si bien que, ce soir, avant que je ne prenne le volant sous
la Lune pour faire la filante en Belgique, je rêve encore de dévisager l’étoile
à l’exposition « 1917 » au Centre Pompidou-Metz, demain.
Olga dans un fauteuil est mon
Olga et le restera. Entre mes quinze et mes trente, elle est devenue celle que
l’histoire de l’art a aussi retenue comme l’un des plus formels lancements de
la période classique de Picasso. Car oui, le portrait est canonique dans sa formulation :
en buste, le regard se plongeant dans le vôtre, le fauteuil noble servant de
socle et les ornementations folkloriques des tissus, d’accessoires. Visages,
cou, bras, mains sont doux comme des velours de luxe. Ses yeux sont de biche. Son
bras libre se déploie en amplitude comme une aile d’envol. Les épaules se
déhanchent. Elle a le rose aux joues et les lèvres orangées d’une sensualité
terrible.
Jean-Auguste Dominique Ingres, Portrait de Madame Leblanc
Décalée sur la droite du tableau, Olga est une chute d’eau noire qui
ruisselle sur pas grand chose : le fond est plus que neutre, plus que toile, plus que plein ou que vide : le fond fait écran à sa présence pure. On distingue un cadre, à peine silhouetté,
c’est tout – il symbolise le peintre. Picasso ne voit qu’elle, apparaissant si fort,
si évidemment qu’Olga débarrasse le monde des accessoires, des murs, des
contraintes. C’est elle, phénomène et amour, et rien qu’Elle. Ce regard qu’on
est quelques chanceux à connaître est un peu celui Frédéric Moreau dans l’Education Sentimentale :
«Ce fut comme une apparition. (…) Jamais il n’avait vu cette
splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des
doigts que la lumière traversait... Il considérait son panier à ouvrage avec
ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa
demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre,
toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le
désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus
profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites. »
Raphaël, portrait de Baldassare Castiglione, 1514-1515
82 cm × 67 cm, huile sur toile, Musée du Louvre
Des fonds neutres devenus écrans d'isolement intime, sensationnel, pulsionnel, on en retrouve chez Ingres, chez Manet, chez Velasquez (dans le désordre, sorry). Le premier dispositif du genre est à trouver chez Raphaël : le fond déloge Castiglione de sa diplomatie pour contenter l'humanité de son regard bleu foudroyant de grâce. Olga, elle, ne cesse d'apparaître et d'apparaître encore comme si jamais le regard ne pouvait s'en défaire de ne pas tout saisir.
Pablo Picasso, Olga, 1923
Huile sur toile, 130 x 97 cm, collection privée
Peut-être apparaîtra-t-elle encore demain.
Accrochée ou non, elle rôdera dans sa nouveauté de volatile comme un peu de temps en temps dans mon esprit. Insaisissable,
liquide, belle, classique en arrière d’une œuvre qu'il est indécent d'avoir étudié tant et tant sans avoir jamais encore vu : le
Rideau de Scène de Parade, de 17 mètres sur 11. J’attends avec la patience de Pénélope ce jour de parade depuis quatorze ans et quelques centaines de jours, depuis elle, depuis
la carte. Qui roulera verra ! Je file lentement comme on choisit une robe de bal (elle sera verte), écouterai Satie dans la mini et vous raconterai tout.
(Bonne fête maman avec un eu d'avance, et, avec un trait de retard, merci merci merci pour la carte.)
alors ? Tu n'as rien écrit : olga est à messsss ?
RépondreSupprimer(canon le texte sur richter)
je vais y remédier.
RépondreSupprimer(merci. je suis dans le doute quant à la qualité de ce texte trop peu plastique. merci merci)
voilà qui est fait : http://regarde-passe.blogspot.fr/2012/06/vladimir-horowitz-et-olga.html
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