Écrivons-le tout de suite avec toute la subjectivité et la kitcherie de l'ogresse éperdue :
♥ Daniel Arsham est un génie que j'aime d'amour véritable ♥
J'insiste sur les petits cœurs : ils vous disent que ce billet dédié à l'exposition Animal Architecture de Daniel Arsham chez Emmanuel Perrotin II (impasse saint-Claude) ne sera pas forcément analytique, en tout cas pas très rationnel car il y a des artistes qui vous parlent plus que d'autres.
Daniel Arsham (1980), Hide, 2005
(présentée en 2005 et présente à l'expo actuelle)
Marbre blanc veiné de bleu, 56 x 124 x 74 cm, 1/5, Courtesy Gal. Emmanuel Perrotin, Paris
La fascination que je nourris pour Daniel Arsham, celle-là même virtualisée par le fanatisme de l'amateur d'art, date de l'exposition Homesick chez Perrotin en 2005 (c'était l'une de mes premières visites en galerie parisienne).
Dans l'expo de 2005, on percevait l'enjeu de l'art d'Arsham : il s'agissait de relativiser la modernité désincarnée en la confrontant au corps naturel. Comme l'atteste Hide, sculpture en marbre datant de 2005 que l'on a plaisir à retrouver à Animal Architecture, la modernité architecturale est transfigurée par Arsham en fantôme - c'est vrai que son historicisation a bien jauni l'angle droit. La nature toujours aussi bordélique et belle comme le monde entier et sauvageonne et caractérielle comme moi n'est perceptible que par segments.
Daniel ARSHAM (1980), Kangaroo, 2009 (vu d'ensemble // détail), Gouache sur calque, 181,7 x 274,7 cm, Courtesy: Galerie Perrotin, Paris
La confrontation des deux pôles poétise l'inscription des corps dans l'espace en la rendant parfois maladroite, étrange. Les gouaches sur calques de très grands formats, citent désormais le vocabulaire minimaliste. Ce n'est pas très étonnant : les minimaux descendent entre autre de la modernité de Mies van der Rohe et structure les expériences par la syntaxe de pleins et de vides, de présence et d'absence.
Le différentiel avec l'esthétique minimale est nécessaire pour comprendre l'insertion par Arsham des volumes élémentaires si chers à Judd ou Andre. Chez les minimaux le lieu esthétique est vide comme est immaculé le laboratoire : il est donc tautologiquement expérimental. Dans les gouaches d'Arsham, le lieu de cette expérience est assimilable à celui du songe, réaliste mais jamais réel, possible mais inconsistant. Car, dans des paysages boisés, des volumes culturels flottants surprennent des animaux sauvages : kagourou, renard, âne... Ces petits animaux adorables fusionnent leur sauvagerie à l'innocence autant qu'à la mélancolie de l'innocence. Comme nous, quoi. Leur jolis traits évoquent ceux des animaux aux attitudes propres à l'homme illustrés par les gravures physionomistes (physionomie : littéralement, connaissance de la nature) de Le Brun de la fin du XVIIe.
Les Gestaldts minimales et inhumaines imprimant au sol une ombre noire ne semblent quant à elles ni concernées par l'environnement ni embarrassées par les lois d'attractions des corps. L'onirisme se colore d'inquiétante étrangeté. La qualité du dessin en grisaille (cliquez sur le détail de Fox pour entrevoir la virtuosité de la main) et la suspension des éléments géométriques rappellent l'art surréaliste le plus obsédant, celui de Max Ernst. Dans les gravures d'Ernst se joue de la même manière la confrontation de la nature et de la culture.
Limb (Green) délivre ainsi une vision romantique des corps en prise avec la modernité et figé par elle : un tronçon de bras difforme autant que répulsif jaillit d'un mur pour finir dans le trottoir. C'est un constat d'échec que le sublime seul peut rattraper (Ah.. on ne peut qu'être d'accord avec Alain : "Il n'y a guère que le sublime qui puisse nous aider dans l'ordinaire de la vie").
Dans l'expo de 2005, on percevait l'enjeu de l'art d'Arsham : il s'agissait de relativiser la modernité désincarnée en la confrontant au corps naturel. Comme l'atteste Hide, sculpture en marbre datant de 2005 que l'on a plaisir à retrouver à Animal Architecture, la modernité architecturale est transfigurée par Arsham en fantôme - c'est vrai que son historicisation a bien jauni l'angle droit. La nature toujours aussi bordélique et belle comme le monde entier et sauvageonne et caractérielle comme moi n'est perceptible que par segments.
Daniel ARSHAM (1980), Kangaroo, 2009 (vu d'ensemble // détail), Gouache sur calque, 181,7 x 274,7 cm, Courtesy: Galerie Perrotin, Paris
La confrontation des deux pôles poétise l'inscription des corps dans l'espace en la rendant parfois maladroite, étrange. Les gouaches sur calques de très grands formats, citent désormais le vocabulaire minimaliste. Ce n'est pas très étonnant : les minimaux descendent entre autre de la modernité de Mies van der Rohe et structure les expériences par la syntaxe de pleins et de vides, de présence et d'absence.
Le différentiel avec l'esthétique minimale est nécessaire pour comprendre l'insertion par Arsham des volumes élémentaires si chers à Judd ou Andre. Chez les minimaux le lieu esthétique est vide comme est immaculé le laboratoire : il est donc tautologiquement expérimental. Dans les gouaches d'Arsham, le lieu de cette expérience est assimilable à celui du songe, réaliste mais jamais réel, possible mais inconsistant. Car, dans des paysages boisés, des volumes culturels flottants surprennent des animaux sauvages : kagourou, renard, âne... Ces petits animaux adorables fusionnent leur sauvagerie à l'innocence autant qu'à la mélancolie de l'innocence. Comme nous, quoi. Leur jolis traits évoquent ceux des animaux aux attitudes propres à l'homme illustrés par les gravures physionomistes (physionomie : littéralement, connaissance de la nature) de Le Brun de la fin du XVIIe.
à gauche : Daniel ARSHAM (1980), Fox, 2010 (détail)
Gouache sur calque, 213,4 x 171,7 cm , Courtesy: Galerie Perrotin, Paris
à droite : Charles Le Brun (1619-1690), Deux têtes de chat et quatre têtes d'hommes en relation avec le chat,
in Traité concernant le rapport de la physionomie humaine avec celle des animaux.
1806, Paris, Chalcographie du musée Napoléon
Graveur : André Legrand, France ; gravure : 1806,. Série de 37 planches en 58 cuivres. Planche 18 A et 18 B imprimées sur une même feuille de papier.
Limb (Green) délivre ainsi une vision romantique des corps en prise avec la modernité et figé par elle : un tronçon de bras difforme autant que répulsif jaillit d'un mur pour finir dans le trottoir. C'est un constat d'échec que le sublime seul peut rattraper (Ah.. on ne peut qu'être d'accord avec Alain : "Il n'y a guère que le sublime qui puisse nous aider dans l'ordinaire de la vie").
à gauche : Max Ernst (1891-1976), Le Pain vacciné, in Histoire Naturelle (introduction de Jean Arp), 1926.
Portfolio of 34 collotypes après frottage ; feuille : 49.8 x 32.3 cm, MoMA.
à droite :Daniel ARSHAM (1980), Limb (Green), 2007
Gouache sur papier calque, encadrement, 87 x 111 x 4 cm, Courtesy: Galerie Perrotin, Paris.Du coup, les grands formats activent la projection du corps du spectateur dans l'espace fictif d'autant plus que dans la salle entière, deux masses cubiques blanches érodées jusqu'à la percée biomorphique par endroits, convoquent notre corps également. Le paysage tactile et délicat que constitue la salle caresse celui qui ne peut que susurrer dans une telle chorégraphie.
Daniel Arsham (1980), "REPLICA", Performance, New Museum, New York City, 2009
C'est ici et maintenant qu'Arsham nous ramène à l'immense Merce Cunningham (mort l'été dernier) avec qui il avait collaboré notamment pour des décors de ballet. "Celui qui ne danse pas ne sait pas ce qu'il se passe", lit-on dans les Apocryphes. A voir les oiseaux mécaniques de Cunningham, on comprend le rêve d'Icare qu'Arsham parvient à conjurer - ses nuages photogéniques sont pixelisés de balles de ping-pong.
Merce Cunningham, Dance Company Dancers in Beach Birds
Daniel Arsham (1980), Pixel Cloud (New York), 2010. Plastique, peinture. 135 x 200 x 170 cm. Unique
Pixel Cloud (Miami), 2010. Plastique, peinture. 90 x 260 x 140 cm. Unique
Pixel Cloud (Miami), 2010. Plastique, peinture. 90 x 260 x 140 cm. Unique
Courtesy: Galerie Perrotin, Paris.
La fable est contée impasse Saint-Claude jusqu'au 7 mai.
Conseil pour votre ipod, Blonde Redhead, Misery Is a Butterfly.
Et demain, regards sur des œuvres photographiques dont je rêve toutes les nuits depuis que je suis passée les voir et les revoir : Witkin à la galerie Baudoin-Lebon.
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