Nouvelle Vague, Fade to grey, in Bande à part, 2006
reprise de Visage, Fade to grey
* préambule *
Cela fait plus d'une année entière que je pense écrire/compiler sur le thème du "Point Gris". Ne cherche pas pourquoi.
Cette expression est montée par Paul Klee qui ne la lâcha jamais. Il en a même fait presque tout un livre. Selon Klee, le point gris dissipe par sa modalité les influences des complémentaires fondamentales, le noir et le blanc. Au sein du chaos, il fournit, dans la perspective
cosmogénétique de Klee, ce « centre originel » d'où jaillira l'ordre de
l'univers formel et coloré. Les grisailles préparatoires, les ébauches, les hachures grisâtres, les papiers gris qu'on vient rehausser de blanc, en sont les premiers indices.
Jean-Auguste-Dominique Ingres et son atelier, Odalisque en grisaille, ca 1824-34
Grisaille, Metropolitan Museum, New-York
" Oui, le premier gris le point gris chaos c’est le gris du noir/blanc. Le point gris qui a sauté par-dessus lui-même, c’est pas le même. C’est le même et c’est pas le même. C’est encore le point gris mais cette fois-ci quand il a sauté par-dessus lui-même est-ce que ce ne serait pas cet "autre" gris ? Le gris du vert/rouge. Le gris qui organise les dimensions et dès lors du même coup qui organise les couleurs. Qui est la matrice des dimensions et des couleurs. Est-ce qu’on peut le dire ? Oui on peut le dire. Oui, sûrement. Est-ce que c’est suffisant de le dire ? Non, parce qu’il serait stupide de dire que le gris du noir/blanc...c’est pas aussi déjà tout... tout l’œuf, tout le rythme de la peinture tout... donc c’est manière de dire tout ça... Bon."
Gilles DELEUZE, cours du 31 mars 1981 donné à la Sorbonne
Théodore Géricault (1791-1824), Cheval arabe blanc-gris, vers 1812
huile sur toile, 60 x 73cm, musée des beaux-arts de Rouen
Vassily KANDINSKY, Im Grau (Dans le gris), 1919
huile sur toile, 129 x 176 cm, MNAM
Et quand le gris vert/rouge d'où montent les couleurs comme des blancs d’œufs montés en neige se dépoie dans l'espace muséal, c'est un coup de génie véritable. Au musée du Louvre-Lens, le white cube laborantin et neutre de sens laisse enfin place à l'espace muséal le plus phénoménal jamais donné à voir. La Galerie du temps est verlainienne : les parois en aluminium abritent deux centaines d'œuvres dans un espace océanique "où l'Indécis au Précis se joint". Elle est un point gris "pour amener le visible", comme le dit Klee, c’est-à-dire pour en avoir une approximation visible. Les tableaux, les sculptures, les objets d'arts s'y lèvent avec leurs couleurs remontées par les reflets en sourdines. Dans la Galerie, à chaque pas, le point gris démontre à quel point il est à l'aplomb "fatidique entre ce qui devient et ce qui meurt".
SANAA + Studio Adrien Gardère, Galerie du temps, musée du Louvre-Lens, 2012
La Galerie du temps est une exposition semi-permanente dont le commissariat est assuré par Vincent Pomarède, Jean-Luc Martinez et Xavier Dectot.
Au premier plan, à droite, pour ne citer que lui, le kouros de Paros
" Et que, précisément c’est pour ça que peindre ça implique une espèce de catastrophe. Une espèce de catastrophe, pourquoi ? Ça implique une espèce de catastrophe sur la toile... pour se défaire de tout ce qui précède, de tout ce qui pèse sur le tableau avant même que le tableau ne soit commencé. Comme si le peintre avait à se débarrasser, alors comment appeler ces choses dont il doit se débarrasser ? Qu’est ce que c’est que ces fantômes dont le peintre... qu’est- ce que c’est que cette lutte avec des fantômes avant de peindre ?"
Gilles DELEUZE, cours du 31 mars 1981 donné à la Sorbonne
C'est ce que fait Kandinsky, là en-dessous, dans le gris. Les fantômes dont se débarrassent Kandinsky - le cavalier, la montagne, le soleil, le motif de la lutte, la scène eschatologique... - se précipitent dans la catastrophe du pictural et se condensent à la sensation du motif ou du symbole. Cette toile tardive figure l'une des étapes de la décantation du réel, de la décantation de la figure auxquelles s'emploie le peintre russe depuis le milieu des années 1910.
"Et puis il y a l’autre danger. On passe par la catastrophe et on y reste. Et le tableau y reste. Ah c’est, bien, ça arrive tout le temps ça. Comme dit... comme dit Klee, « le point gris s’est dilaté ». Le point gris s’est dilaté au lieu de sauter par-dessus lui-même."
Gilles DELEUZE, cours du 31 mars 1981 donné à la Sorbonne
Vassily KANDINSKY, Im Grau (Dans le gris), 1919
huile sur toile, 129 x 176 cm, MNAM
" Si le diagramme s’étend à tout le tableau, gagne tout, tout est gâché. Si il n’y a pas le diagramme, si il n’y a pas cette zone de nettoyage, si il n’y a pas cette espèce de zone folle lâchée dans le tableau de telle manière que les dimensions en sortent et les couleurs aussi. Si il n’y a pas ce gris du gris vert/rouge, dont toutes les couleurs vont monter, à partir duquel toutes les couleurs vont monter et faire leurs gammes ascendantes, il n’y a plus rien. "
Gilles DELEUZE, cours du 31 mars 1981 donné à la Sorbonne
Et quand le gris vert/rouge d'où montent les couleurs comme des blancs d’œufs montés en neige se dépoie dans l'espace muséal, c'est un coup de génie véritable. Au musée du Louvre-Lens, le white cube laborantin et neutre de sens laisse enfin place à l'espace muséal le plus phénoménal jamais donné à voir. La Galerie du temps est verlainienne : les parois en aluminium abritent deux centaines d'œuvres dans un espace océanique "où l'Indécis au Précis se joint". Elle est un point gris "pour amener le visible", comme le dit Klee, c’est-à-dire pour en avoir une approximation visible. Les tableaux, les sculptures, les objets d'arts s'y lèvent avec leurs couleurs remontées par les reflets en sourdines. Dans la Galerie, à chaque pas, le point gris démontre à quel point il est à l'aplomb "fatidique entre ce qui devient et ce qui meurt".
SANAA + Studio Adrien Gardère, Galerie du temps, musée du Louvre-Lens, 2012
La Galerie du temps est une exposition semi-permanente dont le commissariat est assuré par Vincent Pomarède, Jean-Luc Martinez et Xavier Dectot.
Au premier plan, à droite, pour ne citer que lui, le kouros de Paros
Verlaine. Ce n'est pas un hasard. On connaît la chanson, celle grise, splendide, qui fait comme l'effet d'un ciel gris qu'on trouverait beau malgré sa banalité. Ce cliché (ci-dessous) du bâtiment de Sanaa dans le Nord de la France, au ciel pourri, au temps monocorde, rend justice aux fantômes des motifs rendus humblement picturaux : les barres de corons sont citées sans complexe ni jugement. Cette architecture grise d'aluminium touche comme une main posée sur une épaule quand ça ne va pas, rend hommage en gris à la banalité urbaine pour en faire, sans sublimation mais avec discipline et avec empathie, une perspective.
" Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,
Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien
Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
C'en est fait à présent des funestes pensées,
C'en est fait des mauvais rêves, ah ! c'en est fait
Surtout de l'ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait.
Arrière aussi les poings crispés et la colère
A propos des méchants et des sots rencontrés ;
Arrière la rancune abominable ! arrière
L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés !
Car je veux, maintenant qu'un Être de lumière
A dans ma nuit profonde émis cette clarté
D'une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bonté,
Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;
Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.
Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingénus, je me dis
Qu'elle m'écoutera sans déplaisir sans doute ;
Et vraiment je ne veux pas d'autre Paradis. "
Paul Verlaine
SANAA, musée du Louvre-Lens, 2012
photo prise en janvier 2013, vue de la Scène, de la Galerie d'exposition temporaire, au loin, le hall d'accueil, la Galerie du temps et le Pavillon de verre.
" Tiens, c’est donc [ ?] un progrès, qu’est ce qu’il se passe quand la couleur ne monte pas ? Quand la couleur ne prend pas dans le brasier ? Il faut que la couleur sorte de cette espèce de fourneau... de ce fourneau catastrophe. Si elle ne sort pas, si elle ne prend pas, si elle ne cuit pas ou si elle cuit mal... C’est curieux, c’est comme si le peintre... bon, est-ce qu’il a affaire avec la céramique le peintre ? Oui, évidemment oui. Il emploie d’autres moyens lui, mais son fourneau il l’a, il n’y a pas de couleur qui ne sorte pas de cette espèce de... d’un fourneau qui est quoi ? Et bien, qui est en même temps sur la toile. C’est le globe de feu, c’est le globe de lumière de Turner. Chez Cézanne, ce sera quoi ? Et comment appeler ça ? On ne sait pas encore. La couleur est sensée en sortir. Si elle ne sort pas qu’est ce que c’est ? Qu’est ce qu’on dit d’un tableau où la couleur ne monte pas, ne sort pas. La couleur monte, il faut le prendre quoi ? C’est une métaphore ? Non ce n’est pas une métaphore. Évidemment non pour Cézanne. Ça veut dire que la couleur est une affaire de gammes ascendantes. Elle doit monter. A bon, elle doit monter ? Est-ce que c’est vrai que tous les peintres... évidemment non. Non, il y a des peintres où au contraire, il y a des gammes descendantes. "
Gilles Deleuze, cours du 31 mars 1981 donné à la Sorbonne
James Abbott McNeill Whistler, Arrangement en gris et noir n°1 , 1871
huile sur toile, 1,443 x1,63 musée d'Orsay
" Bon là alors l’histoire de Klee elle devient vitale, dramatique. Le point gris saute par-dessus lui-même. Le point gris du noir et blanc devient matrice de toutes les couleurs. Ça devient le point gris du vert/rouge ou le point gris des couleurs complémentaires."
Gilles DELEUZE, cours du 31 mars 1981 donné à la Sorbonne
Edgar Degas, Etude de ciel, vers 1869
Pastel sur papier gris-bleu. 0,29 x 0,48 musée d'Orsay
Visage, Fade to Grey, 1982
*
February (?) 1820
I read your note in bed last night, and that might be the reason of my sleeping so much better. I think Mr Brown is right in supposing you may stop too long with me, so very nervous as I am. Send me every evening a written Good night. If you come for a few minutes about six it may be the best time. Should you ever fancy me too low-spirited I must warn you to ascbribe [for ascribe] it to the medicine I am at present taking which is of a nerve-shaking nature - I shall impute any depression I may experience to this cause. I have been writing with a vile old pen the whole week, which is excessively ungallant. The fault is in the Quill: I have mended it and still it is very much inclin'd to make blind es. However these last lines are in a much better style of penmanship thof [for though] a little disfigured by the smear of black currant jelly; which has made a little mark on one of the Pages of Brown's Ben Jonson, the very best book he has. I have lick'd it but it remains very purplue [for purple]. I did not know whether to say purple or blue, so in the mixture of the thought wrote purplue which may be an excellent name for a colour made up of those two, and would suit well to start next spring. Be very careful of open doors and windows and going without your duffle grey.
God bless you Love !
J. Keats
P .S. I am sitting in the back room
Sharp thoughts, beauty : You're like a knife.
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