« Les forces physiques, loin de se recruter insensiblement par quatre repas égaux (...) sont révolutionnées brutalement et sans périodicité (...); alors de là naissent des générations poitrinaires, des bicéphales, des acéphales et bon nombre de gastrites... »Balzac, Œuvres diverses, t. 2, 1850, p. 43.
Minotaure en marbre, art Romain, Ier-IIe siècle après J.C.
HYBRIDITE
Vernissage vendredi 20 février. Une queue de privilégiés à cartons devant le Grand Palais. On entre après 25 minutes de piétinement mondain.
Le collectionneur en chef règne dans l'entrée. Derrière lui, héroïque, un minotaure romain, dans une hideuse rotonde de rideaux. Dans ce hasard de perspective qui fait de la batardise sublimée du marbre l'ombre de Pierre Bergé, tout est déjà là : la collection est celle d'un couple où s'émulsionnent deux personnalités. Elle est donc bicéphale et ce minotaure en annonce le tempérament fougueux : la monstruosité, la bizarrerie, l'inquiétude et l'étrangeté, la duplicité de l'hybridité, la sensualité brutale, la beauté fulgurante sont communs à toute la collection.
Bougeoir représentant un satyre agenouillé – Atelier de Severo Da Ravenna (actif 1496-1543) – XVIe siècle.
DES PAIRES
Des candélabres aux fauteuils art déco, des statuettes XVIIIe aux fameuses têtes chinoises dont le rapatriement fait débat, tout va de paire, même ces académiques de Géricault.
NEUTRALISATION DES CHEFS D'ŒUVRES
La collection est d'une cohésion fascinante grâce à un goût aiguisé et messianique. Pour autant, l'ensemble transchronologique ne souffre aucunement de l'éclectisme des objets. Tous disent une angoisse vertigineuse :
HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC (1864-1901), La Tauromachie, 1894, huile sur carton
Paire de Figures représentant Atlas supportant une sphère armillaire, d’après l’antique, travail français ou italien, XXème siècle.
Chacun vous livre le secret du curieux et prône la curiosité pour l'animal :
Médaillon en or, émail, perles et pierres précieuses, peut-être Flandres, en partie XVIe et transformations au XIXe siècle.
Et puis il y a ce tableau vertigineux de Degas. Il est minuscule. Les vernisseux s’embrassent et se congratulent plutôt que de porter les yeux sur l’âpreté de cette peinture. Rien ne tient. J’ai le mal de mer juste à constater la réussite de la mise en branle de la perspective et peur de crever juste à voir les fissures. Je me suis confrontée cinq minutes seulement à ce tableau que déjà la réalité dégoulinait dégueulassement de médiocrité.
EDGAR DEGAS (1834-1917), Paysage d'Italie vu par une lucarne, 1856-59, huile sur papier marouflé sur toile, 36.7 x 32 cm.
Même sentiment devant ce Mondrian d'avant la fixation de la grille néoplastique - oeuvre qui manque cruellement aux collections nationales et que Pompidou n'a malheureusement pas acheté - :
PIET MONDRIAN (1872-1944) , Composition I, 1920, huile sur toile
Il faudrait rester là des siècles, devant, face aux blocs de peinture, au bizarre, prendre l'anomalie comme norme. Faire face. On n'y arriverait pas, deviendrait fou. Comment ont fait Saint-Laurent et Bergé pour soutenir tant d'implacable ?
Regardes, regardes vite, et passes ton temps à regarder encore : ces œuvres-là, tu ne le reverras pas de si tôt.
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