D'avance,
pardon.
En toute sincérité, vraiment,
recevez mes excuses les plus uniformes pour :
- en avoir marre des crânes ;
- avoir envie d'exposition d'art non-dépressif après un tel hiver marqué par le froid, Deadline (MAMVP) / Boltanski (Grand Palais) / Crime et châtiment (Musée d'Orsay) / oh la la ! la mort est notre futur à tous et le passé de toute l'humanité ;
- être une gamine superficielle refoulant sa propre finitude - j'ai quelques difficulté à être pascalienne en permanence étant donné qu'on attend de moi que je me lève le matin comme si de rien n'était afin d'arpenter les rues parisiennes sans sanglots à reniflements déformant mon visage.
J'avoue et baisse un peu les yeux :
Jan Fabre (1958), L'Oisillon de Dieu, 2000, crâne, ailes de coléoptères, perruche empaillée, collection particulière
Le premier problème de l'exposition demeure le traitement maniaque proposé par les commissaires : en matière d'iconographie, le terme-clé du titre ne se résume pas aux seuls crânes littérales. La vanité évoque la précarité de la vie et l'inanité des occupations humaines. En conséquence et en guise d'exemple contradictoire, bien des natures mortes ou des scènes de genre activent subtilement l'interjection du Memento Mori ("souviens-toi que tu vas mourir"). Dans les murs du musée, je n'ai croisé du regard aucune justification argumentant cet élagage de brutasse du concept, pourtant la politesse exige que l'on s'excuse après avoir bousculé quelqu'un.
Douglas Gordon (1966), Forty one, 2007, Crâne, socle en verre avec miroir, 22 x 40 x 37 cm, Courtesy Yvon Lambert
Liant alimentaire humaniste et universaliste, la monomanie squelettique des commissaires est une petite couleuvre qu'on pourrait bien avaler à l'aide d'un coca light avec glaçons (quatre euros et cinquante cents au bistrot du coin) si elle ne détériorait pas l'appréhension des œuvres. Alors que les différences de styles et d'écoles devraient se trouver révélées par les contrastes comparatistes, dans les salles de l'hôtel Bouchardon, les œuvres, trop diverses, trop nombreuses, laissées dans leur jus sans commentaire, sortent toute blanche de la farine dans laquelle on les a roulé. En l'absence d'organisation thématique, historique (autre que le rudimentaire classique/moderne/contemporain), stylistique ou conceptuelle, les œuvres contemporaines se nuisent. Parierait-on sa mère (maman, joyeux anniversaire en forme de blasphème !) que le grand public ici ciblé puisse intuitivement saisir les nuances de la trans-avant-garde italienne (Francesco Clemente entend "replacer dans l'art la tradition de la peinture" notamment par la restauration de l'habileté manuelle) ou des nouveaux fauves allemands ?
Andy Warhol (1928-1987), Skull, 1976, The Andy Warhol Museum, Pittsburgh
En outre, la discrimination par le crâne gomme toute spécificité de l'apparition de ce dernier dans un répertoire iconographique propre à l'artiste qui le convoque : le motif est-il récurrent chez l'artiste ? Est-il exceptionnel dans sa production? Est-il pris par derrière à la blague, par le mépris ou est-il convoqué un soir de bile où l'on persiste à rédiger un article à 02h27 du matin ? Chez Hirst, par exemple, le crâne siffle le départ de toute une production capitaliste, faisant pendant aux natures mortes d'animaux conservés dans du liquide bleu de ciel (une expo vient d'ouvrir à Monaco, j'espère y aller en hélicoptère). Il en est de même pour Day Jackson. En revanche, le crâne chez Douglas Gordon est une exception réitérée à plusieurs reprises. Quant à ceux d'Andy Warhol, ils attestent de la morbidité de l'ensemble de son œuvre alors que le traitement qu'en fait Daniel Spoerri trahit par le foisonnement kitschisant l'ironie vis-à-vis de la culture et probablement un refoulement par l'humour.
Les salles dédiées à l'art des XVII, XVIII et XIXe siècles et celles rassemblant l'art moderne souffrent moins de l'effet fourre-tout pour la simple raison que la signification de la vanité n'avait alors pas été encore concassée par les complots et les cynismes contemporains (entendre post-modernes si vous le souhaitez, et lire Baudrillard et Bonito Oliva). Le gravissime Zurbaran pour lequel j'avais fait ce pélerinage de 5 stations de métro (j'ai été capable de prendre un eurostar pour voir un St François, et lorsque j'aurai les moyens des caprices franciscains, je partirai pour la super bien nommée San Francisco) voisine le très beau tableau de Saint Jérôme de Caravage et une toile que le cartel attribue à De la Tour (il y a débat à ce sujet).
à gauche : Zurbaran (1598–1664), San Francisco arrodillado (Saint François agenouillé), c. 1635, huile sur toile, Milan, collection Adolfo Nobili
à droite : Caravage (1571-1610), Saint François en méditation, c. 1602, huile sur toile, Collection particulière
Alors, oui, la réunion d'autant de toiles, sculptures, vidéos de si belle qualité fait événement méritant deux bonnes heures de visite. Il faudrait être un peu dingue pour ne pas le reconnaître : les noms des artistes égrainés tout au long de cet article font autorité en matière d'art moderne et contemporain. Mon petit cœur frêle a tant aimé le Zurbaran (vous l'aurez compris), la miniature de Witkin dont on ne peut guère voir des photographies fréquemment à Paris (d'où le caractère exceptionnel de l'exposition de ses nouveaux clichés à la galerie Baudoin Lebon à partir du 16 avril, on y passera !), le bad painting de Basquiat, le Richter phénoménal, Cucchi, le tondo d'Hirst intitulé La mort de Dieu, la vidéo de Gordon.
De l'accumulation de crânes, on ne sort pas indemne.
Rassasiée, donc, mais aussi un peu éclaboussée aussi, je n'ai pu retenir des Vanités de Maillol que le contraire de ce que l'on attend d'une exposition : des émotions autonomes et dissociées.
J'ai dû mal comprendre ;
All apologies
Gerhard Richter (1932), Schädel, 1983, Saint-Étienne, Musée d’Art Moderne