Ce qui était promis là où il était question de la présence ou de l'absence à l'exposition "1917" de Metz du tableau de Pablo Picasso, Olga dans un fauteuil peint en 1917, est dû. Longtemps après, oui, le temps de digérer, quoi.
Parce qu'Olga n’était pas à Metz. Pas plus que la
félicité. Pour faire vite, et parce que je suis encore et toujours embarrassée
lorsqu’il s’agit d’évoquer les accrochages messins, l’exposition « 1917 »
du Centre Pompidou-Metz est intelligente
mais peu touchante, étouffante, étalant du sol au plafond la frustration de
l’historien. Voilà entassées des œuvres superbes à la charge de beauté et
d’émotions densifiée par les circonstances dont le seul critère de
considération de l’accrochage demeure leur historicité. Oh ! Ça fait mal
aux yeux. C’est une exposition d’histoire, au mieux une exposition d’histoire
de la réception contemporaine à la création, le tout mouliné par la rhétorique
scientifique de l’historien. L’exercice de style est réussi : les éclairages sur les arts graphiques, les arts allemands, les arts des tranchées notamment sont vertigineux. On apprend un nombre incalculable de faits et d'anecdotes représentatives, on se plonge dans l'obscurité des quelques mois les plus rudes de l'histoire de l'Europe. Mais, à tout dire,
je regrette que l’histoire de l’art soit littéralement passée à la trappe
: pas grand chose sur les iconographies par exemple – étonnant lorsqu’on
considère que l’iconologie est une discipline connexe à l’histoire et
l’histoire de l’art - ; aucun propos esthétique éclairant le classicisme
des uns ou la révolte des autres… J'y retourne bientôt de manière à revoir ma position car elle ne saurait être arrêtée.
Voir
Parade
de Picasso telle qu’elle doit être vue, en contre plongée naturelle,
c’est se sentir minuscule en taille et immense du fait de la projection
immédiate de soi dans les personnages monumentaux et nostalgiques de la
mélancolie passée : j’ai été particulièrement frappée par le traitement
spectaculaire des rideaux qui embrassent tendrement et avec générosité les figures pales. Un
nu fou et fascinant de Modigliani
est particulièrement scandaleusement accroché. Ce Nu au coussin de 1917 ( de la Staatsgalerie de Stuttgart) est beau jusqu’aux larmes (j’ai –
pour Parade aussi). L’intelligence et
la science de l’évocation de Rodin, mort en 1917 est égale à la suprématie des nymphéas
rassemblés de Monet. Enfin, on ne peut être qu’heureux de pouvoir regarder dans
le même champ Princess X de Brancusi
et la Fontaine de Marcel
Duchamp, enfin réunies, finalement réconciliées. Il en aura fallu du
temps !
Lorsque
je me suis rendue au Centre Pompidou-Metz, le bâtiment de Shigeru Ban était baigné par un soleil simple et franc qui
gratifiait les vieilles connaissances, les petits minois tant choyés, les amis,
celui qui part et ceux quittés. Cette architecture est, du point de vue du visiteur (et c'est ce qui compte), vraiment magique.
Je
ne sais où est mon Olga dans un fauteuil –
quelqu’un peut-il me le dire ?- puisque le musée Picasso à qui elle appartient
est fermé, encore fermé, fermé, fermé.
Le
billet complété par ces quelques lignes était dédié à V. Celui-ci
l’est à E. , que j’appelle au secours la nuit, pour parler d’Horowitz à défaut de parler des autres choses. Si mon Olga était un morceau de musique, elle serait sans aucune hésitation celui-là :
J’ai
la chance, la très grande chance, dans mon travail d’avoir à rencontrer des
gens improbables et fantastiques presque tous les jours. Cette semaine, un
rendez-vous déviait et me voilà à dévoiler une thèse peu théorisée sur la
musique et sa réception – en regard de celle de l’œuvre d’art plastique. Un vieux truc dans ma tête de névrosée qui traînait. Mais dès lors qu'il s'agit de musique, il m'est
difficile d’être méthodique car le sujet m’est très
personnel et que je n'ai pas eu la chance d'étudier : si la peinture est du côté de maman (j’ai choisi d’envisager le
sujet comme le fait papa, forcément), la musique est du côté de papa (et je
traite le sujet comme le fait maman, hein). Je me suis endormie enfant pendant
des années à Paris sur les notes de la 32 de Rachmaninov (ci-dessus) (en/dé)jouées par celui qui m’avait bordée juste avant, si
bien qu’aujourd’hui je ne peux entendre les premières notes sans être prise au
ventre – comme quand je croise Olga, donc.
De toutes les manières, le plaisir de la réécoute et celui de la revoyure n'est pas de même qualité : un morceau qu'on aime fait réaliser lors de son actualisation une fuite en avant. C'est ce que décrit Hans Urs von Balthasar dans le cœur du monde, lignes qui m'obsèdent particulièrement ces temps-ci :
« Fais donc confiance au
temps. Le temps, c'est de la musique; et le domaine d'où elle émane, c'est
l'avenir. Mesure après mesure, la symphonie s'engendre elle-même, naissant
miraculeusement d'une réserve de durée inépuisable. Souvent l'espace manque; le
bloc de marbre n'est pas assez volumineux pour la statue projetée, la place
publique n'arrive pas à contenir la foule immense qui s'y presse. Mais le temps
a-t-il jamais manqué? S'est-il jamais terminé comme un fil trop court? Le temps
est aussi long que la grâce. Abandonne-toi à la grâce du temps. Impossible
d'interrompre la musique pour la saisir et la mettre en réserve: laisse-la
couler et s'enfuir, sinon tu ne la comprendras pas. (...) Tu ne saisis tout l'élan
de la mélodie que lorsque le dernier son est retombé dans le silence. Alors
seulement, tu peux apprécier les masses mystérieuses, la portée des arcs, et l'élégance
des courbes; seul ce qui s'est évanoui dans l'oreille a pris naissance dans le cœur. »
Il convient de préciser que ce Balthasar est théologien catholique du XXe siècle - donnée qui colore certains termes du textes.Peut être que la réception décrite est tout simplement celle de l'amateur ou du néophyte, posture que je ne connais plus trop en littérature (toutes mes lectures étant analytiques pas nécessairement sachantes, mes bouquins annotés, les textes étant tous scandés par des barres rythmiques, hormis ceux lus en bord de mer) et que je ne connais plus du tout en arts sinon en archéologie.
Edit de 23:00 : Faire simple est toujours la solution à retenir, merci Holbein !!
Voici en guise de cadeau de fête des père (bonne fête papa !) quelques démonstrations les plus convaincantes de la fameuse sprezzatura, les plus belles durées qui soient, la plus merveilleuse qualité de temps qui est donnée de passer, même si j’aurais préféré n'être pas si loin de celui dont on entend les ongles frapper sur le clavier pour pouvoir rire de toutes les onomatopées compulsives lâchées à chaque contre-temps ou contre-touche.
On se rattrapera la semaine prochaine, dans le lieu le plus approprié qui soit
(même si le lieu n'a plus son piano et que j'ai piqué un certains nombres de vinyles...)
(même si le lieu n'a plus son piano et que j'ai piqué un certains nombres de vinyles...)
Je me déplace en août (peut-être avant) à Metz pour voir -notamment- ce rideau de scène de parade.
RépondreSupprimerMerci pour les citations musicales : Horowitz est évidemment troublant d'intelligence et de sensibilité.
Vous avez bien raison !
RépondreSupprimer(sauf quand il s'agit de supprimer des commentaires - clin d'oeil)
Le clin d'œil tient du chien andalou : cut, cut cut ;-)
RépondreSupprimerMauvaise manip et tout part dans le trou béant, sans fond, de l'internet bavard.
J'ai rétabli.