Déjà mise à l'honneur au Centre Pompidou dans le cadre de Elles (un ample quadriptyque et une toile nymphéatique vous prennent au ventre dès votre arrivée au 5e étage), Giverny - lieu dit Claude-Monet-Land - mise sur Joan Mitchell pour l'ouverture de son Musée des Impressionnistes, ancien Musée Américain. Rien d'étonnant à cela, rien d'audacieux, c'est attendu parce que c'est historique : Joan Mitchell s'inspire si directement de la production finale de Monet qu'elle finit par s'installer en 1969 à Vétheuil au-dessus d'une des anciennes demeure du maître impressionniste.
Piano Mécanique. 1958. Washington, National Gallery of Art.
Coloris, touche, composition en all over sont familiers. La digestion de l'oeuvre de Monet est passée par l'estomac surréaliste mais l'automatisme de Mitchell est hystérique. La distanciation abstraite de l'expressionnisme américain n'est pas une finalité mais la figuration distancée est le résultat. L'amplitude des salles en béton du musée de Giverny permet d'apprécier à bon recul le défouloir qu'est la toile. Souvent ponctuées par endroits, les compositions explosent sous la pression des couleurs. L'épicentre en est dissous ; il ne demeure de la déflagration que la pondération et la pulsation.
Joan Mitchell, La Chatière/Vent, 1960, Huile sur toile, 194,3 cm x 147,3 cm
Quand le tableau se lève, après quelques minutes d'observation, on parvient à découvrir des motifs. Mitchell révèle alors ses secrets, quelques intimités colériques que seuls les états limites dévoilent. L'analyse des diptyques permet d'y voir plus clair. La symétrie se fausse systématiquement. Les toiles s'affichent d'emblée en miroir : l'une reflétant les couleurs, la touche, le mouvement, la composition de l'autre. On ne saurait dire alors s'il en existe une première générant l'autre si bien qu'on est forcé de les envisager comme totalité. Pourtant, irrémédiablement, le noyau, l'impulsion se niche dans l'ellipse d'entre-deux toiles. Ce procédé suspensif est presque hitchkockien : on ne perçoit pas la cause des effets, on souffre des symptômes sans avoir le diagnostique. Alors la spéculation tourne à plein, libère l'énergie de l'hypocondrie ou de l'hystérie.
Joan Mitchell, La grande vallée n° IX
Jean-Paul Riopelle, Poussière de soleil, 1954
L'exposition de Giverny est une réussite spacieuse, à taille humaine. On s'y trouve seul et bouleversé. Il faut bien un périple en bagnole, de l'air neuf, des fleurs à leur épanouissement et l'odeur de celles en train de faner pour saisir les subtilités de cette peinture-là.
La relation qu'entretenait Joan Mitchell avec le peintre canadien Jean-Paul Riopelle était connue pour être tumultueuse et passionnelle. Il ne faudrait pas distinguer dans leur production la part masculine du féminin. Joan Mitchell a la luxuriance des coloris, Riopelle la tempérence apaisante dans l'explosion de la composition, celle-là même qu'on admire chez Kandinsky.
Jean-Paul Riopelle, Poussière de soleil, 1954
L'exposition de Giverny est une réussite spacieuse, à taille humaine. On s'y trouve seul et bouleversé. Il faut bien un périple en bagnole, de l'air neuf, des fleurs à leur épanouissement et l'odeur de celles en train de faner pour saisir les subtilités de cette peinture-là.
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