Oh la la : Johnny-Fluxus-Cage (1912-1992) sera à l'honneur au Centre Pompidou le temps d'une soirée en deux volets le jeudi 25 mars : bavardages et révérences ; concert avec le noisy Christian Marclay (on te voit venir, paradoxe !), ou encore le très gourmet Mantovani.
La conférence est à 19h dans la grande salle au sous-sol. Soyez-y telle la groupie à 17h car c'est John Cage et car c'est gratuit, et soyez-y pour deux : ce jeudi-là à cette heure-là, je serai quelque part à des milliers de pieds au-dessus d'une étendue d'eau salée.
Quelques compensations :
1/ farfouiller sur youtube et voir Johnny-Fluxus en chair et en os, tout est là :
2/ Consulter compulsivement les prévisions météo sur 10 jours :
= 22°C vaut presque 4"33, non ?
Non.= 22°C vaut presque 4"33, non ?
Je sais, mais j'ai froid.
3/ Faire silence sans faire de yoga.
Pour cela, il vous faut :
- ce livre, une bible : Art Conceptuel, une entologie (sous la direction de Gauthier Hermann, Fabrice Reymond et Fabien Vallos, 22 euros, éd. MIX), ouvert à la page 234 ;
- savoir que le silence obtenu sera plus sec que celui de Johnny car il n'a pas la même teneur en flux.
- une règle ;
- une règle ;
- un crayon ou un stylo ;
- 23" au calme.
Lire l'énoncé balancé par Sol-minimal-then-conceptual-LeWitt (1928-2007) sous l'intitulé "Dessins dans la page" :
Sur cette page, à l'aide d'un crayon oud'un stylo, tirez des lignes à partir dechaque voyelle du présent paragraphejusqu'aux 4 coins de la page.
Comprendre le bouclage auto-référentiel et tautologique.
Hésiter à les anéantir en les réalisant.
Obéir à Sol LeWitt et risquer le contre-sens dans la dépense du premier degré.
Le réalisateur de l'action graphique répond à une visée binaire :
voyelle = tracé
consonne = 0
Alors comme l'esprit s'affale passivement devant les chiffres et les lettres, il en vient à se cloisonner dans une salle anéchoïque mentale dans laquelle vous n'entendrez plus que les battements de votre coeur et le son de votre système nerveux (le voilà mon pseudo John Cage Rush).
Diktat sans idéologie, le système et la servilité au système étouffent les bruits. Mieux : même en l'absence de tout contenu déterminé, l'œuvre et la concentration grossière qu'elle exige font surgir du vide des pensées aléatoires souvent minimes et essentielles.
Pendant 23 minutes, règle et crayon à la main, on expérimente par le protocole ce que les conceptuels appellent la pure "articité". La chose à contempler et à réaliser se laisse saisir d'un seul tenant : pas de création, pas d'idolâtrie, pas de génie, pas de métaphore, pas davantage de motif que de justification, pas de symbolisme, pas de grandiloquence.
Cela ne rime à rien.
Le désintéressement est nickel et laisse bien pénard le phénomène nu comme un ver :
"Matérialisée ou pas, l'idée en elle-même vaut autant comme œuvre d'art que le produit fini"
(Sol LeWitt, "Paragraphes on Conceptual Art", in Art en théorie, 1900-1990).