Dans le lieu même

Écrivons-le comme une litote : depuis que je suis en Lorraine, j'ai passé quelques temps au Centre Pompidou-Metz et dans l'exposition inaugurale Chefs-d'œuvre. A ce sujet, pas un ligne ici, non, pas une. 

A quelques dizaines de kilomètres d'autoroute de là, une demi-heure de Sinatra parce qu'on est dimanche matin, le MUDAM est à même d'activer de nouveau les bavardages électro : l'exposition-transposition de l'installation de Daniel Buren au Luxembourg annonce la programmation du printemps messin...

Le bâtiment de Pei drastique, austère et lumineux (les adjectifs vont toujours par trois, comme les hop hop hop, m'a-t-on appris) se ouate de l'installation à claire-voie de Buren. L'architecture proposée par l'un des quatre fondateurs de B.M.P.T. répond à l'impératif conceptuel de l'in situ : selon l'idée endermique d'une strate tridimensionnelle ou bidimensionnelle agissant sur la peau ou en pénétrant la peau du lieu, l'installation de Daniel Buren s'imbrique dans le Grand Hall du MUDAM, structure le vide, révèle les lignes de l'architecte.

Vue de l'installation de Daniel Buren au MUDAM (novembre 2010)

Olivier Mosset, (sans titre), 1967, MNAM

Un cercle noir au centre d'une toile blanche carrée tendue sur châssis

peinture acrylique sur toile, 100x100cm

Grâce à des pans de verres colorés vivement, Buren stabilote presque les espaces-force. Le point d'ancrage de l'installation se trouve au centre de l'espace investi. A ce point là, on n'éprouve pas la perversion de l'espace mais son explicitation par des signes plastiques presque linguistiques . Comme cible strictement le cercle d'Olivier Mosset, accroché dans l'exposition du Centre Pompidou-Metz, la croix fixe (c'est le principe d'une croix, a priori). Le cadrage stabilise par des enchâssements successifs.

En déambulant dans l'infrastructure, les doublons n'en sont plus et se contraignent à n'être que des dédoublements minimes, des plis de sagesse (passages et liens sur le pli : là), des racoins (obsession récente : ici). Leurs précarités rendent sensibles, enfin, les subtilités des vides comme le sont les silences dans une conversation de différend.

L'architecture du musée mute alors. C'est justement la réussite de Pei que de faire un bâtiment caractériel en citations patrimoniales prompte à se laisser dominer par les œuvres qui l'habitent. Car citant les citations peiennes mêmes (je me fais plaisir, hein, car je peux ici-même), Buren introduit  dans le musée autant de gothique (verrerie de vitrail ; lisibilité de l'infrastructure architectonique) que de baroque (inconséquente versatilité dans la déambulation). Le terme de transposition choisi par Buren pourrait être élargi au transfert, et donc au phénomène par lequel un sentiment éprouvé pour un objet étendu, par association, à un autre objet. L'installation mise alors sur l'investissement esthétique où fructifient des motifs inflationnistes.

Si elle est sensible à l'espace ductile, la structuration esthétique du concept d'installation chez Buren est proprement littéraire : les signes plastiques fonctionnent comme des onomatopées structuralistes ; L'installation glose et cancane sur le bâtiment premier - nous sommes là dans le paratexte. La discordance induite par la déambulation et la subjectivité tout de même présente culmine à la déconstruction.

Et là, drame, on touche à des problématiques pesant des tonnes : Heidegger & Derrida ! Retenons le second puisqu'il rejette un peu le premier : dans le différentiel séparant les doublons des dédoublements, se nicherait la différance derridienne et la qualité de projection, de jetée ou de gramme de l'installation dans l'espace.

Ainsi, aussi grandiose et spectaculaire soit l'installation-translation de Buren, l'œuvre-mère demeure la sculpture de Pei. Ce n'est pas facile mais faudrait quand même pas l'oublier : elle est la structure archétype, qui, impénétrable et revisitée toujours, demeure ; elle est le musée.

 

Sur le retour de Just Love Me, une des expo du MUDAM au même moment, et puisque rien n'avait changé entre avant et après, CAUTION : explicit lyrics :