Au moment où le MAMVP propose dans le cadre Seconde Main une tentative fantasmatique de musée imaginaire avec l'insertion dans les collections de visitation de œuvres icôniques par des artistes contemporains (des "copies" de Mondrian, des "reproductions" de Duchamp, en somme), après des semaines de fermeture des collections permanentes du MNAM suivie d'une réouverture partielle, le nouvel accrochage de cet espace décisif pour la visibilité de l'art moderne a enfin été révélé.
Les problématiques étaient complexes : la reconduction de Elles@CentrePompidou (voir ici) occupant la moitié de l'espace des collections permanentes a sans doute suggérer d'équilibrer les collections en allongeant d'une très grosse décennie la période traitée au cinquième étage. En conséquence, bien évidemment il y a des coupes par rapport à la version précédente d'autant que pas mal d'œuvres sont sur la route du Centre Pompidou-Metz ouvrant à la mi-mai : on regrette l'absence de La Porte-fenêtre à Collioure de Matisse, des deux Mondrian, du Cube de Giacometti, de nombreux Picabia figuratifs ou encore de Barnett Newman pour ne citer qu'eux.
Dès lors, le parcours compense en misant sur une pédagogie sage et scientifiquement traditionnel - les audaces seront à chercher dans les contre-allées. Les collections sont éminemment lisibles, comme un excellent ouvrage d'histoire général de l'art et c'est ce qu'on attend d'un musée de cette envergure. Jean-Paul Ameline, le conservateur en charge de cet accrochage, a su réintroduire avec subtilité les années cinquante et soixante à coup de salles historiques et photogéniques.
Dès lors, le parcours compense en misant sur une pédagogie sage et scientifiquement traditionnel - les audaces seront à chercher dans les contre-allées. Les collections sont éminemment lisibles, comme un excellent ouvrage d'histoire général de l'art et c'est ce qu'on attend d'un musée de cette envergure. Jean-Paul Ameline, le conservateur en charge de cet accrochage, a su réintroduire avec subtilité les années cinquante et soixante à coup de salles historiques et photogéniques.
Tout d'abord, voici quelques retours en grâce qui m'ont particulièrement émue dans la partie la plus classique de l'art moderne. Avec la Pisseuse de 1965 et du Couple de 1971, la peinture argotique du Picasso final est replacée dans l'histoire de sa propre création puisque ces deux toiles font face aux œuvres plus classiques de Picasso, l'orgasmique Nu couché de 1936. C'est la violence et la provocation qui sont retenues comme critères qualifiant la peinture de Picasso. Dans ces deux œuvres annonçant le Bad Painting des années 80 (Schnabel, Rainer, Basquiat...), le style se relâche et s'affale dans l'obsession de figurer des signes élémentaires et brutalement sexuels.
Une salle entière, rendez-vous compte : à côté du mur de Breton auquel répond Sarkis avec humour, une salle entière est consacrée à Antonin Artaud. Le poète, l'auteur du Théâtre de la cruauté, le dessinateur est si décisif et représentatif des fonctionnements surréalistes qu'il a toujours été douloureux de vivre son évincement ou son évocation allusive dans les collections permanentes. Voici une réhabilitation qui fait sens et plaisir d'autant qu'elle infléchit avec justesse la perception que l'on peut avoir de Giacometti.
D'ailleurs, l'existentialisme phénoménologique sidérant de Giacometti trouve une place de choix : alors que l'accrochage précédent revalorisait la période para-surréaliste du sculpteur suisse, la v.10 offre un panorama très large de la production d'après seconde-guerre mondiale avec des figures en cage de la fin des années quarante, des hommes debout classiques dans le pétrification, des Femmes de Venise, des bustes et des dessins.
Et puis, on continue de déambuler parmi les salles, on s'attend à percevoir la filiation entre le second surréalisme et l'expressionnisme lyrique, on n'est pas contredit. Cette satisfaction rassurante est suspendue par un choc. La plus belle salle qui soit n'est pas si grande, d'ailleurs ça n'en est pas une, c'est un passage transitoire, une antichambre. Le cartel annonce Bacon/Rainer. Le triptyque qui me manquait tant distribue les déformations alentours. C'est décidé, je vous en reparlerai.
Plus loin, une ample salle confronte Oldenburg et Dubuffet, rapprochement pas évident, extrêmement subtil et surtout signifiant. C'est si bien fait qu'il n'y a pas de rapport de force entre les œuvres malgré les différentes techniques employées : la peinture de Dubuffet révèle grâce aux reliefs et sculptures d'Oldenburg ses potentialités sculpturales qu'on sait atteintes par les environnements du maître de l'Art Brut. En miroir, c'est le pop art d'Oldenburg qui s'enrichit d'une portée critique par contamination de Dubuffet. Aucun contre-sens, ici au contraire.
La salle néo-dada est l'occasion tonitruante du retour si attendu de l'œuvre majeure de Rauschenberg, Oracle qui était inaccessible depuis plusieurs mois. Prévisible : Jasper Johns est en face.
De part et d'autre des néo-dada, les duchampiens du Nouveau Réalisme retrouvent une place de choix dans l'art moderne : le Bas-Relief de César (1961) fait face à deux Christo phénoménaux. En revanche, les trois œuvres de Klein (une peinture de feu, un monochrome IKB et une éponge, dans cet ordre sur l'image ci-dessous) sont isolées des autres Nouveaux Réalistes et élevées au rang de chef d'œuvre par leur noble situation dans la nef du musée. Ce choix est à mon sens le plus juste historiquement et esthétiquement mais cela peut faire l'objet d'un débat pointilliste.
Le panorama des années cinquante se poursuit en Italie avec notamment Plastica de Alberto Burri (1964, polyvinyle calciné sur plaque d'aluminium, à droite de la première photographie) faisant suite au Combustinioni du milieu des années cinquante. La radicalité d'un tel objet où la peinture est totalement évincée tient à ce que l'artiste travaille sur le retrait quantitatif de la matière. Les agressions conceptuelles de la surface des Concetti de Fontana, artiste prédateur valorisent le transitoire et le dynamisme (Cercamica spaziale, 1949, en céramique et au premier plan de la seconde image ; La fin de Dieu, 1963, à gauche, rose et en forme d'œuf). Si on n'était pas comblé par la prestance d'une telle salle, on pourrait regretter que la figure de Piero Manzoni ne soit réduite au monochrome alors que la portée conceptuelle des développements de sa production est décisive pour la suite des événements, MERDA.
Pour finir, dans la "rue", Rothko et Pollock. Rien à dire.
L'indicible et le silence de ces toiles-ci répondent à une œuvre impossible à photographier qui vaut à elle seule le déplacement : l'Ultimate Painting d'Ad Reinhardt (le n°6, 1960), que je n'avais jamais vu en vrai, vous fait savoir qu'il est des émotions révélatrices qui marquent un œil.
à +
le plus est une croix.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire