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20100413

Tous aux Abris !

Hier, on en était là, à chercher l'intrus :


Les parasites qui se cachent à peine sur le bâtiment sont des petites cabanes en bois clair greffées aux tuyaux de l'usine ; une autre plus évidente est suspendue au-dessus de l'entrée du public, comme un vers poétique en plein enjambement.


Ce n'est ni une intervention spectaculaire des Enfants de Don Quichotte dénonçant la relance des procédures d'expulsion des logements, encore moins une réalisation de l'atelier des tout jeunes pompidoliens, non non non : les petites huttes sont des interventions situées de l'artiste Tadashi Kawamata (Galerie Kamel Menour). Six comme celle-ci égayeront bientôt la façade et l'intérieur du hall du Centre Pompidou jusqu'en juin. Après elles seront purement et simplement détruites, c'est le prix de l'éphémère !

Si ce musée comme bien d'autres a inspiré de nombreux artistes contemporains, c'est la toute première fois (toute toute première fois) que la façade de Piano et Rogers se trouve ainsi déniaisée par une œuvre alternative. Jusqu'ici le bâtiment polémique était vantard de sa propre sculpturalité soclée, tubiste et constructiviste. L'unique quasi-précédent envahissant l'ancien plateau de Beaubourg remonte à une commande du CNAC et des Arts Décoratifs lancée en 1971 à laquelle François Morellet répondit en 1976 par une peinture en trame sur les bâtiments en vis-à-vis du Centre.
Les petits nids adorables et précaires  sont la signature de Kawamata. Travaillant essentiellement ("essentiellement", au sens littéral) le bois, cet enseignant à l'école Nationale des Beaux-Arts de Paris n'a de cesse de relativiser le poids du béton par l'accumulation tantôt monumentale tantôt détaillée du matériau pauvre. Comme toutes les interventions sur site, les réalisations de Kawamata révèlent et interrogent l'espace et sa structuration en dissimulant les bâtiments (classiques dans le cas de l'envahissement  par des cagettes en bois d'un ouvrage de Mansard à Versailles). Cette occupation à l'image de la rhétorique du voilé/dévoilé de Christo formule la préoccupation vivotant au fond de chaque âme.

Tadashi Kawamata (1953), Gandamaison, 2008
cagettes en bois (plus de 5000), installation à l'école d'architecture de Versailles, automne 2008

Moins sauvages qu'élémentaires, les cabanes unicellulaires et microscopiques mycorisent l'univers infantile du public qui passe par là et évoque l'organisation spontanée des favelas. Littéralement para-site, les huttes de Kawamata renouent avec une iconographie  rebattue : Mario Merz  (1925-2003), acteur de l'arte povera, côté conceptuel, réquisitionne lui-aussi le motif de l'édification rudimentaire avec sa série des Igloos réalisés en 1968-69, image de "l'abri et (de) la cathédrale de survivance" dans le contexte bouleversé de la guerre du Vietnam. Chez Merz, comme d'ailleurs chez Beuys, l'habitat comme monde en soi contradictoire par son unité et par son pacifisme avec le monde réel et brutal est le lieu propice à la solitude nécessaire et au processus de maturité.
Une fois ceci envisagé, on perçoit l'enjeu du déploiement d'un tel symbole sur le Centre Pompidou : le musée est l'un de ces lieux autres (ces hétérotopies, théorisées par Michel Foucault) qui, comme la hutte, fermente les esprits grâce à la suspension qu'il opère.  Cette rétractation dans un espace mental et purement symbolique est assurée par une dialectique des contraires mise en œuvre par Kawamata : les cabanes se réfèrent à l'organique tout en étant absolument artificiel ; elles semblent fragiles et naturelles mais solidement harnachées à l'institution culturelle.
Dans le hall d'entrée du Centre Pompidou, l'histoire continue : Kawamata a sû restituer le fantasme ancestral en rendant sa poésie formelle à l'espace dédié aux enfants. L'immense cabane de l'atelier pédagogique allège sa monumentalité par l'emploi du carton, matériau que l'on retrouve dans les deux abris perchés et absolument inhabitables.  AH, qu'est ce qu'on aimerait pourtant pouvoir y passer une nuit à boire de la bière (il nous faut essayer les amis) !
Bref, le public se trouve mis en condition de réception, qu'il aille voir Lucian Freud ou les collections permanentes.

 *

Donjon de Vez : Les Tree Huts de Tadashi Kawamata en train d'être montées par l'artiste et un assistant, élève à l'ENSBA (mars 2009)

En mars 2009, j'avais déjà eu l'honneur de croiser Tadashi Kawamata, un homme humble et investi : il nidifiait alors dans les branches de peupliers gris du jardin du Donjon de Vez, dans l'Oise. En aucun cas ici les cabanes ne se jouent ou se moquent de l'environnement existant. Installées de façon pérenne,  les sculptures se lient avec empathie avec la végétation et raisonne avec l'identité minérale des parois de forteresse du Donjon.
L'extérieur du donjon est ouvert au public les dimanches de belle saison et pour vous dire toute la vérité : c'est l'un des lieux les plus poétiques et les plus inédits qui m'a été offert de visiter.

Donjon de Vez : au premier plan, en étoile corail, une sculpture monumentale de Di Suvero // à droite : Kawamata dans sa petite nacelle en pleine installation de ses trois cabanes dans les arbres // à gauche du chemin : une sculpture en bronze Richard Stankiewicz // et aussi : un calvaire du XIXe siècle.

Le jardin aménagé par le paysagiste Pascal Cribier égale par sa beauté et son intelligence la qualité des œuvres présentées (Antoine Bourdelle, Di Suvero, Jean-Pierre Raynaud, Buren, Kawamata...) : en adéquation avec le patrimoine classé, les perspectives florales sont raccourcies par des jeux d'échelles subtiles figurant ainsi un espace bidimensionnel qu'ont amplement illustré les temps médiévaux.


Donjon de Vez : Vitraux de la chapelle réalisés par Daniel Buren (1938) en 2006.

Vous avez également la possibilité de visiter sur demande la salle à manger du Donjon de Vez décorée d'un Wall drawing en 1995 par  Sol LeWitt (1928-2008). En revanche, je ne suis pas certaine que le trompe-l'œil de Varini (actuellement exposé chez Xippas) soit accessible au public. Je partage donc pour finir la vue de cette poutraison chaloupée par l'anamorphose capable de produire les sensations les plus verticales de l'ivresse des très bons vins.


Donjon de Vez : Installation en trompe d'oeil de Felice Varini (2e étage du foyer). 
La photo est prise depuis le point d'archimède de l'environnement, pratiquement inaccessible (là, je suis accroupie dans une cheminée).

1 commentaire:

  1. Je me demandais justement ce que c'était que ces trucs ...... Une alternative pour les clochards de la BPI ??
    c triste que ce soit détruit, je trouvais ça poétique.

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